4 janvier 2015

L'Archéologie est vivante

par Philippe GOUIN-LISSANDRE


Vive la recherche vivante !

Les grandes avancées de la Science résultent de l’accumulation de petites découvertes complémentaires entre elles. On ne sait donc jamais laquelle de celles-ci provoquera une découverte majeure. Pour le scientifique et l’archéologue, toute donnée même d’apparence secondaire est donc utile car elle peut en compléter d’autres et permettre de bâtir ou d'appuyer une théorie.
L’archéologue d’aujourd’hui s’est aperçu que, très souvent, les résultats de ses fouilles de terrain ne s’éclaircissaient qu’après confrontation avec des données qui leur sont indirectement liées. Contrairement à ce que l’on voit trop souvent au cinéma ou à la télévision, l’archéologue ne définit plus, comme autrefois, une grande culture par ses seuls arts, textes ou batailles car cette méthode ignore la multitude humaine à l’origine de ces faits grands ou petits. C’est donc avec l’apport de toutes les sciences physiques, naturelles et humaines que les Préhistoriens et les Archéologues reconstruisent aujourd’hui notre passé. Et c’est ainsi qu’ont pris naissance, il y a quelques décennies, des sciences hybrides comme l’ethnoarchéologie qui tient à la fois de l’archéologie et de l’ethnographie. Nous allons donc voir, par des exemples concrets, comment fonctionne cette méthode de recherche.

Des témoins, des cultures, des hommes

Premier exemple : la fouille d’un campement de chasseurs Magdaléniens (vers 12 600 ans BP) comme celui de Pince-Vent, en Seine-et-Marne. Quelques outils de silex, des traces de feu et quelques os : il ne reste que peu de vestiges du passage de ces chasseurs de rennes car les matériaux, peaux et bois, qu’ils utilisèrent pour construire leurs abris sont entièrement périssables.

a) Plan-relevé des vestiges osseux de la Section 36 de Pince-Vent
(Leroi-Gourhan A. et Brézillon M., 1983. Fouilles de Pincevent : essai d'analyse ethnographique d'un habitat magdalénien)

Comment alors reconstituer l’aspect et l’usage des tentes où ils s’abritaient du climat glaciaire de l’époque ? Le Préhistorien commencera par noter précisément la place des indices conservés sur le sol, silex et os, et la trace négative des trous des poteaux soutenant la couverture en peaux aujourd’hui disparue (fig. a). Il pourra ainsi déterminer la forme et les limites de la structure ainsi que les activités pratiquées : la préparation des aliments d’après les foyers, et le travail du silex et de l’os d’après les déchets de fabrication. Il rapprochera ensuite ses résultats des études réalisées sur les peuples récents ou actuels vivant dans les mêmes conditions économiques, climatiques et sociales comme par exemple, les Inuits hyperboréens. Il y trouvera sans doute, par comparaison, des modèles correspondant au sien et pourra ainsi proposer une restitution vraisemblable (fig. b).

b) Reconstitution d'une tente magdalénienne du site de Pince-Vent (CNRS)

Des ustensiles, des techniques, des produits

Second exemple : la production des laitages dans les Civilisations Harappéennes qui s’épanouirent vers 2 500 avant J.-C. le long du fleuve Indus (Pakistan). Evidemment, là encore, il ne reste que peu de choses de ces paysans même s’ils connaissaient l’écriture car celle-ci n’est pas encore déchiffrée. On retrouve pourtant leurs villages en briques de boue séchée et surtout leur poterie domestique. Mais quel en était l’usage ? 

Diverses poteries culinaires de la Civilisation harappéenne, 2500 av. J.C. 
(Kenoyer J.M, 1998. Ancient cities of the Indus valley civilization, p.135)

Pour répondre à cela, l’auteur de ces lignes a puisé ses comparaisons dans la batterie de cuisine traditionnelle des habitants de ces régions isolées dont la vie n’a guère changé depuis des millénaires et il y a retrouvé des ustensiles tout à fait comparables à ceux des Anciens. Cela lui a permis de déterminer que certains d’entre eux servaient à préparer des laitages, beurre et fromage, très appréciés en Inde aujourd’hui encore. Cette hypothèse ethnoarchéologique fut ensuite exactement confirmée par des analyses chimiques par chromatographie en phase gazeuse réalisées à l’Université de Bordeaux.

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